Niches fiscales
Selon la Cour des Comptes les niches fiscales (appelées dépenses fiscales en Finances Publiques), sont des mesures dérogatoires par rapport à des normes fiscales de référence (le droit
commun), engendrant des pertes de recettes pour l’Etat (et permettant aux bénéficiaires de payer moins d’impôts). Elles constituent un manque à gagner pour l’Etat. Ces mesures dérogatoires
peuvent prendre des formes diverses : exonérations, abattements sur l’assiette du prélèvement, déductions et charges, réductions et crédits d’impôts, application de taux réduits. Leur
objectif est divers et varié. Il peut être incitatif (crédit d’impôt recherche, fiscalité écologique tel le crédit d’impôt développement durable) dans le but d’orienter les comportements, avoir
pour objet de soutenir un secteur particulier (ainsi la restauration ou le logement), ou être redistributif et d’application large (PPE)... Les niches fiscales qui sont le plus souvent pointées
du doigt dans le débat public sont celles qui sont employées dans les schémas d’optimisation ou de défiscalisation. En effet, elles peuvent conduire à une véritable évasion fiscale, par
utilisation de dispositifs légaux qui sont détournés de leur objet et nécessitent de les requalifier en démontrant que l’utilisation de ces mécanismes avait pour but d’éluder
l’impôt.
Des chiffres
* Plus de 500 niches fiscales
* Coût : 150 milliards d’euros dont 73 milliards d’euros de niches recensées par le PLF + 75 milliards d’euros de niches fiscales déclassées, soit près de 1,5 fois le déficit budgétaire de
l’Etat (90,7 Mds € pour 2011)
* Les 10 niches fiscales les plus coûteuses :
Crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises : 20 Mds €
Dispositifs dérogatoires à la TICPE : 5,7 Mds €
Crédit d’impôt recherche : 5 Mds €
TVA au taux réduit de 7 % pour les travaux de rénovation : 5 Mds €
Prime pour l’emploi : 4 Mds €
Crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile : 3,9 Mds €
Niche Copé (exonération de plus-value sur cession de filiale) : 2 à 5 Mds €
Exonération et fiscalité réduite sur l’assurance vie : 3 Mds €
TVA au taux réduit de 7 % sur la restauration : 3 Mds €
Réduction d’impôt sur le revenu Scellier (investissement locatif) : 1 Mds €
Environ 500 « dépenses fiscales » sont recensées dans le 2e tome du rapport sur les voies et moyens annexé aux projets de lois de Finances. Leur coût total est estimé
pour 2011 à 73 Mds € soit près d’un tiers des recettes de l’Etat. Elles concernent principalement l’impôt sur le revenu (35 Mds €), les dispositifs communs à l’impôt sur le revenu et à l’impôt
sur les sociétés (7,4 Mds €), le seul impôt sur les sociétés (3,1 Mds €) et la TVA (17,5 Mds €). Mais c’est sans compter les mesures retirées de la liste (niches fiscales déclassées) alors même
qu’elles existent toujours et sont toujours utilisées (leur coût s’élève à 75 Mds € en 2011) ou qui n’ont jamais figuré sur cette liste ! C’est ainsi que plus d’une centaine de mesures ont
été déclassées et requalifiées en « mesures particulières de calcul de l’impôt ». Entre la liste officielle des niches fiscales et les niches déclassées, certaines d’entre elles
constituent un manque à gagner pour le budget de l’Etat, il est important de les étudier puisque les sommes en jeu s’élèvent à près de 150 milliards !
Le budget de l’Etat en quelques chiffres : il s’élève pour 2011 à 360 Mds €. Les quatre principales recettes de l’Etat sont pour 2011 : la TVA (131, 9 Mds €), l’impôt
sur le revenu (51,5 Mds €), l’impôt sur les sociétés (39,1 Mds €), la taxe intérieure de consommation sur les énergétiques (14,3 Mds €). Les Recettes nettes du budget général s’élèvent à 271,4
Mds € en 2011, les dépenses à 361,5 Mds €. Après imputation du solde des compte spéciaux de l’Etat (- 0,6 Mds €), le déficit budgétaire 2011 se monte à 90,7 Mds €.
Conclusion : même s’il ne s’agit pas de balayer toutes les niches fiscales d’un revers de manche, la suppression de certaines d’entre elles réduirait le niveau du déficit
budgétaire !
Les niches fiscales les plus coûteuses
Sur les 500 niches fiscales, quelques unes coûtent la moitié du total. Citons en particulier :
Impôt sur le revenu _ : Prime pour l’emploi créée en 2001 par Lionel Jospin (coût en 2010 : 4 Mds € dont sont bénéficiaires 9 millions de francçais à bas revenus).
_ : Crédit d’impôt pour l’emploi d’un-e salariée à domicile (coût : 3,9 Mds €) _ : Exonérations et fiscalité réduite sur l’assurance vie : 3 Mds € _ : Réduction d’impôt
sur le revenu Scellier pour les investissements dans l’immobilier locatif neuf, qui a pris le relais de l’amortissement Robien/Borloo.
La loi Scellier permet d’avoir une réduction d’impôt - ce n’est pas un simple abattement sur le revenu -, pouvant aller jusqu ‘à 21 % de son investissement en pierre en loi Scellier BBC
et 32 % en loi Scellier Outremer. Son coût : 960 millions d’euros, soit près de 1 Md €.
La loi Duflot succède à ce dispositif à partir de 2013, dans une version plus sociale : il s’agit d’orienter les investisseurs vers l’achat de logements intermédiaires qui seront mis sur le
marché à des prix accessibles dans des zones où le besoin de logements neuf est particulièrement fort.
Impôt sur le revenu / Impôt sur les sociétés _ : Défiscalisation partielle des investissements productifs dans les DOM TOM (coût : 550 Mds € pour 10 000 bénéficiaires).
_ : Crédit d’impôt recherche (coût en 2010 : 5,8 Mds €) -voir ci-après aImpôt sur les sociétés _ : Niche dite Copé créée en 2004 : exonération d’impôt sur les plus values
(Impôt sur les sociétés au taux réduit de 19 %) réalisées lors de la vente d’une filiale par une entreprise (coût : 2 à 5 Mds € par an). L’avantage fiscal procuré par cette niche qui
bénéfice aux grands groupes de sociétés vient d’être réduit par le gouvernement Hollande. Cependant, cette niche ne disparaît pas.
TVA _ : TVA au taux réduit de 5,5 % (7 % à compter du 01.01.12) pour les travaux de rénovation, créée par Francis Mer en 2003 (coût : 5 Mds €). Ce taux passe
à 10 % en 2014 avec le gouvernement Hollande. _ : TVA dans la restauration au taux réduit de 5,5 % au lieu du taux normal de 19,6 %, mesure décidée par Nicolas Sarkozy en
juillet 2009 (coût : 3 Mds €). Sous son quinquennat, la TVA sur la restauration est cependant repassée à 7 % avec l’ensemble des autres produits et service soumis à ce taux
intermédiaire (elle passera de la même manière à 10 % avec le gouvernement Hollande).
TICPE _ : Dispositifs dérogatoires relatifs à la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (ex TIPP, taxe intérieure sur les produits pétroliers) :
5,7 Mds €. _ : La niche fiscale la plus importante de la TICPE est le gas-oil sous condition d’emploi, qui concerne le secteur de l’agriculture et le BTP (2 Mds €). Les autres dispositifs
dérogatoires à la TICPE sont relatifs au transport routier de marchandises, aux taxis, et aux biocarburants.
Le gouvernement Hollande vient d’allonger la liste des niches fiscales les plus coûteuses par une nouvelle mesure censée améliorer la compétitivité par l’abaissement du coût du travail : le
Crédit d’Impôt pour la Compétitivité des Entreprises (CICE) de 20 milliards d’euros sur les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC.
Le CICE diminuera le rendement de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu (pour les bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux et bénéfices agricoles). Il s’agit
de réduire le coût du travail, mais la nouveauté est qu’il s’agit là d’un allègement d’impôt (niche fiscale) et non de charges sociales (niche sociale) : le coût pèse directement sur le
budget de l’Etat (le budget de la sécurité sociale n’est pas concerné). Du coup, la question de la non compensation intégrale des allègements de charges sociales pour les caisses de Sécurité
Sociale ne se pose pas, il n’y a aucune perte de recettes pour la sécurité sociale. Et donc, afin de compenser cette perte budgétaire pour l’Etat, le gouvernement a décidé l’augmentation globale
de la TVA (au 1er janvier 2014, la TVA au taux normal de 19,6 % passe à 20 % et la TVA au taux intermédiaire passe de 7 % à 10 %, tandis que le taux réduit baisse de
5,5 % à 5 %) ainsi que la réduction des dépenses publiques (10 Mds €). L’addition salée est donc payée au final par les ménages (hausse des prix à la consommation, moins de services
publics…). Mais aucune contrepartie n’est exigée des entreprises. C’est un chèque en blanc.
En revanche, le gouvernement Hollande voulait supprimer la niche fiscale qui consiste à imposer les revenus de capitaux mobiliers (intérêts et dividendes) au prélèvement libératoire en lieu et
place du barème progressif de l’impôt sur le revenu. Les revenus du capital auraient été imposés comme les revenus du travail. Le gouvernement attendait 2 milliards d’euros de recettes
supplémentaires pour 2013.
Cependant la portée de cette mesure a été amoindrie en cédant aux « entrepreneurs pigeons » qui réclamaient le retour au prélèvement libératoire pour les plus values de cession des
« starts up », sociétés créées et revendues après une courte durée. Les créateurs d’entreprises qui revendent leur société seront imposés au taux forfaitaire de 19 %. En dernier
épisode, le Conseil Constitutionnel a rejeté l’imposition des revenus de capitaux mobiliers au barème de l’impôt sur le revenu. Le gouvernement devra réviser sa copie.
Le Conseil des Prélèvements Obligatoires relève que le recours « aux dispositifs dérogatoires » - à savoir les niches fiscales - est de plus en plus fréquent, alors que ce n’est
pas toujours adapté. Soulignant que les niches fiscales sont régulièrement créées et rarement supprimées, le CPO constate que ces mesures sont souvent étendues sans évaluation préalable (rapport
du CPO sur les entreprises et niches fiscales et sociales d’octobre 2010). Certaines ne sont jamais évaluées, par manque de données ! L’évaluation du coût d’une niche fiscale n’est pas chose
simple. L’utilité et l’efficacité des niches fiscales sont des questions controversées, toutes ne sont pas à jeter. Voici un exemple et un contre exemple :
Exemple : les livrets d’épargne défiscalisés
Sont exonérés les intérêts du livret A (190 millions d’euros en 2011), du livret développement durable (ex-CODEVI, compte pour le développement industriel) pour un coût estimé à 80 millions
d’euros, du livret d’épargne populaire (LEP) pour les ménages modestes (50 millions d’euros) et du livret jeune (10 millions d’euros). L’objectif de ces livrets est de financer la politique de
logement social, ou des projets de développement industriel et durable. La contrepartie de l’avantage fiscal concédé est clairement établie. Mais sait-on toujours réellement où va l’argent ?
Il faut pour cela mettre en oeuvre un contrôle de l’utilisation des fonds déposés. Selon l’Observatoire de l’épargne réglementée (rapport 2011), « avec 12,7 milliards d’euros de prêts
directs au profit du logement social, le fonds d’épargne a financé la construction ou l’acquisition d’un peu plus de 120 000 logements en 2010, dans la continuité des exercices précédents »
tandis que la collecte de fonds d’épargne au titre du LDD a permis de mobiliser en 2010 « 1,8 milliards d’euros de prêts pour financer les PME ou TPE, ainsi que des financements de travaux
d’économie d’énergie dans des bâtiments anciens ».
Contre-exemple : le crédit d’impôt recherche (CIR)
Créé en 1983, réformé en 2008, ce crédit d’impôt réservé aux entreprises est égal à 30 % de leurs dépenses de recherche et de développement jusqu’à 100 millions d’euros (5 % au-delà).
Selon les tenants du libéralisme, le crédit d’impôt recherche entraîne même après plusieurs années une hausse des investissements privés. Son coût est très élevé (autour de 5 milliards d’euros
par an) et la question de son efficacité réelle au regard de son coût a fortement fait débat. En 2012, le Conseil des prélèvements obligatoires s’est prononcé en défaveur de la création d’un
crédit d’impôt innovation et a proposé de réformer le dispositif du CIR « en délimitant plus clairement la frontière entre les dépenses éligibles et celles qui ne doivent pas l’être, en
améliorant le contrôle sur les dépenses engagées, notamment sur les dépenses de personnel, en rendant plus efficace la dépense ». Ce sont généralement les grandes entreprises qui sont les
principales utilisatrices des CIR. Le gouvernement Hollande vient de donner une nouvelle extension au crédit d’impôt recherche, à certaines dépenses d’innovation, en faveur des PME (loi de
finances rectificative d’octobre). Si le but est de permettre la création ou le maintien d’emplois dans des structures innovantes, il conviendrait cependant d’en limiter l’usage dans les
entreprises disposant de moyens suffisants pour innover et pratiquer un réel contrôle de la réalité des opérations effectuées.
VERS UNE REMISE A PLAT DES NICHES FISCALES ?
Les niches fiscales mitent l’assiette de l’impôt avec pour conséquence une érosion de l’assiette que frappe des taux élevés. Le résultat : tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, à
force de mesures dérogatoires. C’est ainsi que, alors que le taux légal d’imposition à l’IS est de 33 %, le taux réel d’imposition des grandes entreprises n’est que de 8 % pour
28 % concernant les petites entreprises...
Mais on est loin de la nécessaire remise à plat des niches fiscales, le gouvernement vient au contraire de reconduire l’une des plus coûteuses : le crédit impôt recherche dont l’intérêt
n’est pas évalué au regard des enjeux en terme de recherche et d’innovation et des ressources dont disposent les entreprises et plus particulièrement les multinationales…
Les niches sont aisées à créer, difficiles à évaluer, rarement supprimées.
Toute création de nouvelle niche devrait être limitée dans le temps, contrôlée, évaluée au regard des enjeux environnementaux, sociaux, économiques.
Le conseil des prélèvements obligatoires préconise de : alimiter la durée d’application des mesures nouvelles ou l’extension de celles qui existent à 4 ans. aimposer une
évaluation systématique de leur coût et de leur efficacité au bout de 3 ans.
instaurer une règle de gage à leur création ou au moment de leur extension (les créations ou extensions de dépenses fiscales doivent être compensées par des suppressions et diminutions d’un
montant équivalent). aprévoir la suppression systématique de toute mesure qui n’aurait pas été évaluée au bout de 3 ans.
Outre la remise à plat des niches fiscales, il est possible aussi de limiter leur impact par une mesure de plafonnement général de ces niches fiscales au regard des réductions d’impôt qu’elles
permettent d’obtenir.
En ce sens, le gouvernement vient de décider du plafonnement des niches fiscales à 10 000 € en matière d’impôt sur le revenu (loi de finances 2013). Antérieurement le plafonnement était de 18 000
€ augmenté de 4 % des revenus ! C’est donc une mesure intéressante, mais ce plafonnement ressemble à une passoire : plusieurs niches fiscales y échappent.
La multiplication des niches fiscales remet en cause l’architecture des impôts. Ainsi, l’impôt sur le revenu, impôt progressif, peut devenir dégressif au bénéfice d’un-e contribuable
aisé-e qui joue de la défiscalisation (investissements dans les DOM largement exonérés, produits financiers défiscalisés…). Les grandes sociétés se jouent quant à elles de l’IS : alors que
le taux légal de l’IS est de 33 1/3 %, leur taux réel d’imposition est de 8 % contre 28 % pour les PME. Toutes ces niches rendent opaque et illisible le système fiscal.
Elles ont aussi pour grave inconvénient de bafouer le principe d’égalité devant l’impôt inscrit dans l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Pour
l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de
leurs facultés ».
Il est clair que le contexte libéral de compétitivité entre Etats génère des politiques d’attractivité fiscale, autrement dit de dumping fiscal ou social, d’où la prolifération de nombre de
niches fiscales. La plus importante, qui affiche clairement l’objectif de réduire le coût du travail en France pour les néo-libéraux, est la dernière en date : le crédit d’impôt pour la
compétitivité des entreprises. Pour en finir avec les régimes fiscaux et sociaux dérogatoires, c’est le cadre néo-libéral de l’Europe qu’il faut remettre en cause, pour construire une autre
Europe : une Europe sociale, économiquement solidaire.